Note sur la réalisation / Artistic approach

Le film s’articule autour des situations que vit le personnage : extérieures et intérieures.

Bander ses seins le matin, pour revêtir son uniforme et prendre son service à la base militaire où il est affecté. Parler à son adjudant, aller au rdv avec son endocrinologue. Défiler à la gay pride, se faire expliquer par le médecin militaire comment procéder aux injections de testostérone. S’entrainer. Solliciter l’avis de sa mère sur un nouveau modèle de faux pénis. Vivre une relation avec une fille qui l’attire tout en gardant la distance imposée par le corps en transformation. S’occuper de sa grand- mère, partager des confidences avec sa sœur…

C’est dans les détails du quotidien que s’inscrit la paradoxalité de ne pas être dans le bon corps. Le premier combat de Vincent dans l’armée a été d’accéder aux toilettes des hommes, mais arriver là comment faire pipi debout si il y a des hommes dans les toilettes ?

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Dans les scènes à plusieurs, la caméra est en observation, elle suit Vincent dans ses péripéties. C’est lui qui mène l’action, qui s’adresse aux autres. Au dehors, Vincent est un extraverti hyperactif, il est en mouvement permanent. Cela demande une caméra à la fois présente et fluide. Le dispositif de tournage doit être efficace mais léger pour ne pas gêner la spontanéité des interactions qu’elles aient lieu dans le milieu militaire ou familial. Pour ces scènes-là, l’action est privilégiée, on tourne à l’épaule, en lumière naturelle autant que possible. J’ai rencontré plusieurs directeurs de la photo au Québec et mon choix s’est porté sur Geoffroy Beauchemin, qui après avoir rencontré Vincent a accepté ma proposition.

Quand Vincent est seul, on passe en mode introspectif.

Je lui ai acheté une psyché, un grand miroir sur pied, pour mettre en scène l’évolution du rapport qu’il entretient avec l’image de son corps. Le corps est filmé au plus près, quand il se muscle, quand il se rase, quand il surveille l’évolution de sa pilosité. La caméra est posée, l’image est travaillée, l’éclairage est important, on cherche à être à fleur de peau.

La narration passe par la voix de Vincent, en in ou en off. Sa texture et sa gravité évoluent. Le changement de tonalité de la voix est un des éléments les plus significatifs de la transition. Lorsqu’elle vient en off, elle exprime l’intériorité du personnage, son ressenti intime, ses confidences, ses angoisses, son trouble parfois. Vincent traverse des moments de doute. Les changements physiques, psychologiques, émotionnels sont complexes et génèrent toutes sortes d’interrogations.

 

caporal vinz

 

Pour ne pas couper cet accès à son intériorité, lorsque je suis absente, nous avons mis en place un dispositif de journal filmé. Régulièrement, Vincent se filme, en principe le jour de son injection de testostérone. Il m’envoie la vidéo ainsi que  des photos qui documentent les changements physiques.

Nous en discutons ensuite par skype. Ce lien est essentiel pour le film, cette intimité de parole qui doit lui permettre de s’exprimer sur tous les aspects de l’expérience qu’il est en train de vivre. Des extraits de ce journal filmés tourné en HD pourront être intégrés au montage.

Le film va se tourner en plusieurs étapes sur la période nécessaire à la transformation physique de Vincent. Je veux pouvoir observer toutes les étapes jusqu’à la décision finale concernant un éventuel pénis artificiel (phalloplastie). La psychologie de Vincent évolue en parallèle à sa transformation physique. Ce qui lui apparaît comme une certitude aujourd’hui ne le sera peut être plus dans un an.

Le contexte militaire est partie prenante du récit. Vincent s’est engagé dans l’armée par choix. Sa participation à la mission Athéna en Afghanistan, à l’époque il était encore officiellement Virginie Lamarre dans l’Armée, a joué un rôle essentiel dans la décision de faire son coming out, une fois qu’il en est revenu. Dans les  images  ramenées d’Afghanistan, on voit Virginie conduire les énormes camions de ravitaillement en carburant le long d’une route construite par l’armée canadienne.

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C’est un milieu d’hommes, dans lequel il a réussi à se faire accepter pour ses compétences. Il lui reste à se faire accepter pour la personne qu’il est en train de devenir. Ce milieu véhicule des représentations dans notre imaginaire. Ces représentations se traduisent par un système d’images spécifique : le corps, l’uniforme, les modes de communication, les bâtiments et les véhicules de l’armée. Le fait que Vincent soit militaire permet d’aborder le sujet de la transsexualité sous un angle complètement inédit.

La place de la famille est également très importante. Les dernières recherches sur la transsexualité, actuellement encore classifiée sous la pathologie « dysphorie de genre (1)» comme maladie mentale, montrent que le facteur majeur pour une transition positive est le soutien et l’acceptation de la famille.

La famille et l’armée sont les deux lieux principaux où se déroule le film.

La dramaturgie se construit autour de l’émergence de la nouvelle identité du personnage : Qui est Vincent ? Que va-t-il rester de Virginie ? Qu’est-ce que la masculinité ? Qu’est-ce qui constitue un homme ? Comment est-ce que le biologique se conforme ou se confronte au culturel ?

 

Doris Buttignol

 

 Artistic Approach

If the story is intense, the tone is light. Not only Vincent, but Manon his mother and Muriel his grandmother have a strong sense of humour, they never hesitate to laugh about the offbeat situations Vincent is encountering.

This complicity enable us to view the pursuit of his goals through on the lighter side of things, perhaps with some comedic rather than dramatic elements. Vincent hates pathos and self-pity, and always manages to defuse a tense situation through his sense of humour. Manon and Muriel admirably share this quality. They boldly formulate and debate about any and all questions, which the average person hesitates to ask, in particular “what about the penis?”. Vincent speaks very spontaneously and there are no taboos about his experiences.

Vincent’s mother Manon is a critical actor in the process. She fully supports him through each and every step of his journey. With Manon’s collection of family films and videos we travel back in time – to Vincent’s childhood and teen years. We will learn of his father’s disappearance on a speleological expedition when Vincent was aged two; and about his grandfather who died in a fire – two critical male characters destroyed by water and fire.

 

Virginie jeune

 

The transition period will last 2 years. During this time Vincent will be attached at the military base in St-Jean-sur-Richelieu. The military brass, supportive of his decisions, has given the production unrestricted filming access. His immediate superior, his doctor and comrades (soldiers and officers) from the Afghan front will be interviewed. Driven by their mutual trust, Vincent gave the exclusive access to his journey to the director, Doris Buttignol.

 

The context of Vincent’s transition allows for a very different take on military life and provides a unique environment to explore such sensitive issues as the transgender experience and sexual identity. It also relates how was Vincent able to impose his views and have his gender transformation accepted by and paid the military – normally perceived to be a most conservative segment of society. Will his experience enable others in the armed forces with a similar experience to move on and come out?

 

Sports are also central to Vincent’s life, and so they will be in the documentary. Due to his superior talent as a goaltender for the army’s women hockey team, Vincent, as Virginie, was often called upon to play for the men’s team. He will be now expected to perform at the same high level as his teammates. Will he be consistently up for the challenge? How will the players react to his new identity? Will he feel the need to overly compensate his newfound masculine identity to prove himself and be accepted by his teammates?

 

 

 

Vinz muscu1 - copie

 

Finally, since Vincent experiences his new body, how will he now «be» with women? How will the story with Justine evolve, as they are getting more and more intimate? How can a “non biological” man live his sex life, his love life? The documentary is questioning the way we think of masculine and feminine identities. In doing so it will add to the very current debates about different identities and self-perception.

 

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Vincent has an exceptional life path, a unique story to tell – at the same time intimate and universal. Beyond the debates on gender politics and identity, there is the potential for a narrative that speaks to us deeply – about our secrets and our true identity.  » One of the Boys » is a very singular story with a universal reach: a story filled with laughter, tenderness, desire, doubts and fears. A full human adventure.

Doris Buttignol.

 

 

[1] Le terme « dysphorie du genre » désigne un diagnostic attribué par les psychologues et médecins pour décrire les individus significativement mécontents (dysphorie) du sexe qu’on leur a assigné à la naissance, ou du rôle qu’ils possèdent à cause de celui-ci. La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux utilise le terme de « dysphorie du genre » plutôt que celui de « trouble de l’identité sexuelle ». Le DSM-5 utilise le terme d’« incongruence de genre » pour une meilleure identification et moins de stigmatisation